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Matchmaking : l’art de créer la tempête parfaite

Laurent Poulin - Boxingtown Québec

Photo : Vincent Ethier – Carlos Góngora face à Christian Mbilli, un bijou de matchmaking.

« La seule règle en matchmaking, ne jamais organiser un combat qu’on ne voudrait pas soi-même regarder » – Bruce Trampler.

Si l’on exclut les boxeurs sur le ring qui donnent et prennent des coups, le métier le plus difficile en boxe est assurément celui de matchmaker. Quand tout va bien, on entend rarement parler d’eux, mais quand les choses commencent à moins bien aller et que les adversaires tombent comme des mouches, c’est vers eux que les critiques fusent.

Mais qu’en est-il vraiment ? Quel rôle joue le matchmaker dans la construction d’une carrière ou d’un gala ? Je me suis penché sur ce dossier.

Le père du matchmaking

Bruce Trampler a donné ses lettres de noblesse à la profession de matchmaker. Diplômé de l’Ohio University, il a rejoint Top Rank en 1979. Année après année, il figure parmi les 25 personnes les plus influentes en boxe. Trampler divise la carrière de ses boxeurs en trois étapes.

Le prospect

Pour lui, on trouve des adversaires avec différents styles et on doit chercher à lui faire faire des rounds. Trampler souligne qu’un KO au premier round ne sert à rien, ni au public ni au boxeur. Ensuite, il faut amener des gauchers, des droitiers, des petits, des grands, des agressifs et des contre-attaquants.

La construction de carrière

C’est l’étape la plus importante. Le matchmaker connaît sur le bout de ses doigts les forces et les faiblesses de ses boxeurs et les exploite en leur faveur. Si le boxeur est un lourd cogneur, on cherchera des adversaires avec un bon palmarès qui risquent de tomber pour créer un engouement. Un boxeur technique se verra opposer à des boxeurs agressifs et un peu brouillons pour qu’il puisse exploiter ses forces. La venue de l’Internet a changé la donne, avant les promoteurs s’arrangeaient pour que certains combats ne soient pas filmés pour ne pas décourager certains adversaires.

Le rang de superstar

Quand le boxeur rapporte des millions à son promoteur, il faut veiller à ce que ça continue. On entend souvent l’expression « L’adversaire était fait sur mesure pour ce boxeur ». Deux exemples me viennent à l’esprit, David Lemieux face à Glen Tapia ou Adonis Stevenson face à Thomas Williams. On entretient la réputation du cogneur et le risque était minimum.

Les grandes contraintes

  • Si le boxeur est un bon vendeur de billets, on lui cherchera un adversaire pour le protéger en vue du prochain gala.
  • Si le boxeur est un débutant chez les professionnels, on lui trouvera un « jambon » pour voir comment il réagit avec des gants de 8 onces.
  • Parfois, la bourse avec laquelle le matchmaker doit travailler est très basse, car le promoteur veut faire de l’argent.
  • Si le boxeur a déjà un contrat en poche pour un combat plus important.
  • Si le boxeur n’est pas dans une condition physique optimale, mais on décide de le faire boxer quand même.
  • Si le boxeur prend sa retraite.
  • Si le boxeur revient d’une longue absence.
  • Le boxeur doit arriver avec des tests médicaux récents et traduits dans une des deux langues officielles.
  • C’est aussi la tâche du matchmaker de veiller à ce que le passeport et le visa de l’adversaire soient en règle.

Sans oublier le gouvernement

Récemment, Justin Trudeau a causé un cauchemar aux Morin et Loyer de ce monde en empêchant la libre circulation des Mexicains au Canada. De nombreuses exceptions vont être instaurées, mais rien pour la boxe professionnelle. Déjà parfois aux prises avec de petits montants d’argent pour organiser des combats, nos matchmakers devront ainsi pêcher plus loin, en Amérique du sud et en Europe où les billets d’avion sont beaucoup plus chers, pour trouver des adversaires. Pas de visa, pas d’adversaires mexicains.

Fait cocasse : Un billet Pologne-Montréal est souvent moins dispendieux qu’un billet Calgary-Montréal.

Et puis, il faut aussi respecter les critères de la régie, pas trop de défaites et de KO subis consécutivement. Aussi, certains entraîneurs sont plutôt prudents et refusent en bloc tous les adversaires qu’on leur propose. Et n’oubliez pas que dans tout ça, il faut assurer le spectacle.

Le matchmaker multiplie les appels, regarde des combats et fouille BoxRec. Ensuite, il passe des appels et envoie des courriels. Par la suite, il proposera une courte liste d’adversaires potentiels aux promoteurs, à qui revient la décision finale.

Au Québec, il y a 2 appariteurs (c’est ça en français) actifs et connus.

Pour EOTTM

Stéphane Loyer est le plus célèbre d’entre eux. Il est directeur des opérations chez Cogeco et travaille ardemment à longueur d’année pour trouver des adversaires. Loyer cumule 131 galas à son actif.

« Camille Estephan est le promoteur qui carbure le plus aux défis pour ses boxeurs. Tout comme l’ensemble des promoteurs, il démontre de la confiance envers ses boxeurs et souhaite que leurs oppositions soient de la meilleure qualité possible ».

Pour GYM

« En boxe professionnelle, c’est un tout autre terrain de jeu. De nos jours, les amateurs de boxe ont accès à des sites spécialisés comme BoxRec. Ils peuvent voir les fiches des pugilistes et critiquer le travail des matchmakers. Ce serait si facile si on pouvait uniquement choisir sur BoxRec l’adversaire idéal… mais on doit se frotter à plusieurs contraintes et balises qui ne sont pas toujours connues du grand public. On doit d’abord trouver un adversaire qui servira à faire progresser le boxeur. C’est donc dire un opposant qui devrait donner assez de fil à retordre pour donner des rounds de progression et un bon spectacle, sans être trop fort pour le local (rendu à un niveau plus élevé, on peut élever le risque afin d’évaluer la valeur du boxeur ou le lancer vers des combats de championnat). Ce rival doit aussi être accepté par le clan du combattant local (l’entraîneur et le gérant). »

Sauf dans les cas précis d’un Lomachenko ou Beterbiev, je dirais que les 10-15 premiers combats servent à l’éducation d’un boxeur. On lui amènera des gauchers, des grands, des petits, des cogneurs, des roux et des salauds. L’idée est de tout lui montrer avant les combats importants. C’est un peu ça le défi du matchmaking : offrir le bon boxeur pour le développement, au bon prix pour le promoteur et en assurant le spectacle pour le public. Le matchmaker est pris entre l’arbre et l’écorce, voulant faire plaisir à tout le monde.

Deux combats concrets

J’adore quand les matchmakers arrivent avec des combats qui me permettent de jouer avec la fameuse règle de 3. Rajoutez un peu de saveur locale, 2 boxeurs qui doivent l’emporter à tout prix et je vais en redemander.

Steven Butler vs. Steve Rolls:

Ici, c’est un matchmaking parfait dans tous les sens du terme. Deux boxeurs à la croisée des chemins, 11 ans de différence entre les deux, l’Ontarien contre le Québécois. Régis Lévesque applaudit et regarde ce duel d’en haut.

Qu’est-ce qu’un combat à la croisée des chemins?

L’idée ici derrière ce proverbe est la suivante : le gagnant peut rêver aux classements mondiaux et faire de l’argent. Le perdant doit plutôt se faire à l’idée de devenir un côté B de l’équation, boxer tôt dans les soirées et gagner moins d’argent.

Osleys Iglesias vs. Marcelo Coceres:

Excellent travail de mon ami Stéphane Loyer, l’Argentin de 33 ans a affronté Billy Joe Saunders et a par la suite fait la limite avec Edgar Berlanga, Erik Bazynian et Meiirim Nursultanov. J’adore ce matchmaking de comparaison qui permet rapidement de voir si l’investissement sur notre nouveau boxeur en valait la peine.

En résumé, il faut faire gagner le boxeur local, tout cela à un prix raisonnable et en assurant sa progression.

Le travail le plus compliqué au Québec est assurément celui de Kent Hughes ou François Legault, le travail de matchmaker arrive en 3e place, j’en suis certain.

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